Une disciple de La Voie, qui vit avec moi, "sourire-intérieur", pratique aussi le Taïchi et a rédigé le texte qui suit, à propos de la parenté qu'elle a constaté entre la pratique de La Voie, qui est la sienne depuis dix ans et celle du Taïchi. Avec son autorisation j'ai un peu remanié son texte et je vous le propose à la lecture.
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Une disciple de La Voie, qui vit avec moi, "sourire-intérieur", pratique aussi le Taïchi et a rédigé le texte qui suit, à propos de la parenté qu'elle a constaté entre la pratique de La Voie, qui est la sienne depuis dix ans et celle du Taïchi. Avec son autorisation j'ai un peu remanié son texte et je vous le propose à la lecture.
Il y a, entre la pratique du taïchi et celle de La Voie, une parenté évidente, l'une découle de l'autre. Le taïchi est considéré par de nombreux pratiquants comme une hygiène de vie favorisant la santé et le bien-être mental, un art du développement personnel et martial, sans compter le plaisir apporté par la convivialité qui accompagne cette pratique au sein d'un club. Mais, en vérité, le taïchi a sa source dans la spiritualité et participe d'un ensemble, une « sadhana », comme on dit en Inde. Le taïchi seul n'est pas une pratique spirituelle, il est une des faces d'un ensemble spirituel, souvent contemplatif.
La légende veut que le taïchi ait été inventé par un moine taoïste, il est donc très probable que ce moine ait intégré les fondements essentiels de sa spiritualité dans cette activité physique ; quand on est moine, que l'on voue toute sa vie à la spiritualité, tout est spirituel, toute l'existence est considérée comme une pratique spirituelle !
Pour ce qui est du taoïsme, je rappelle que La Voie reconnaît Lao-Tseu, l'inspirateur de ceux qui ont créé le taoïsme, comme un éveillé, et un de ses maîtres anciens, au même titre que le plus connu de tous les éveillés ; le bouddha Gautama, du clan des Sakyas et ancien maître-parfait (satguru) de La Voie. Le livre qui compile les citations attribuées à Lao-Tseu, le Tao-Te-King, parle sans ambiguïté de la pratique de La Voie. Peut-on trouver des traces des enseignements de La Voie dans la pratique du taïchi ? Je vous propose la lecture des dix principes du taïchi, selon Yang Chen Fu*.
* Maître Yang Cheng Fu (1883-1936) est sûrement la figure la plus importante dans l’histoire pour le développement et l’accessibilité de l’art du Taijiquan. Fils du maître Yang Jian Hou et petit-fils du fondateur de l’école yang, Maître Yang Luchan. Il est à l'origine du taolu de 108 mouvements que nous connaissons actuellement.
1/ Être vide, agile et maintenir l’énergie au sommet de la tête. Relaxer complètement le corps, mais pas le déstructurer. Maintenir la tête droite, sans raideur ni rigidité, comme suspendue par un fil. Relâcher les muscles du visage et coller la langue au palais (sic). Garder le cou détendu, celui-ci doit être libre de tourner dans toutes les directions. Concentration et conscience dans chaque mouvement. Lao-Tseu a dit : « Le Tout, l'Unité est un vide inépuisable. » (Tao-Te-King, extrait de 1.4)
2/ Rentrer légèrement la poitrine et étirer le dos. Ce mouvement de la poitrine vers l'intérieur est destiné à empêcher l'air d'aller vers le haut du corps, ce qui ne manquerait pas d'arriver si on bombait le thorax. La partie supérieure du corps serait plus lourde que la partie inférieure, ce qui entraînerait un déséquilibre et un déracinement. Garder le dos tonique mais non rigide.
3/ Relâcher la taille. La région lombaire étant le centre de commandement du mouvement et le centre de contrôle de l'énergie qui vient des pieds, qui passe par les jambes et s'épanouit dans les mains et les doigts. La taille est comme une roue en mouvement.
4/ Bien distinguer la différence entre le vide et le plein et leur alternance. Dans le taïchi, chaque attitude a deux pôles, un vide et un plein, selon les principes du yin et du yang. Lorsque le poids du corps se porte sur la jambe droite, celle-ci devient pleine (yang), par conséquent, la jambe gauche devient vide (yin). Le poids du corps ne se porte jamais sur les deux jambes en même temps, excepté à l'ouverture et à la fermeture de la forme (l'enchaînement). Quand votre centre de gravité se porte sur une jambe, vous pouvez être souple, rapide et fluide, par contre, avec le poids également réparti sur les deux jambes, vous êtes lourd et difficilement mobile. Pour éviter ça, on doit maîtriser les notions du yin et du yang pour chaque mouvement. Lao-Tseu a dit : « L'éveillé paraît banal, il est comme une vallée ; plein d'espace invisible aux yeux aveuglés. » (Tao-Te-King, extrait de 2.41)
5/ Relâcher les épaules, laisser tomber les coudes. Si l'on hausse les épaules, l'air monte, ce qui entrave le déroulement des mouvements. Laisser descendre les coudes. Si les coudes sont suspendus, les épaules seront tendues. Le but est de garder le souffle vers le bas. Ce relâchement ne signifie pas un flottement, mais se manifeste dans la détente et il naît d'une intention de s'installer dans le bassin. Lao-Tseu a dit : « Quand l'Homme vient de naître, il est souple et faible ; quand il meurt, il est raide et fort. Quand les arbres et les plantes naissent, ils sont souples et tendres ; quand ils meurent, ils sont raides et secs. La raideur et la force sont les compagnes de la mort ; la souplesse et la faiblesse sont celles de la vie. » (Tao-Te-King, extrait de 2.76)
6/ Employer la pensée créatrice et non la force musculaire. On utilise l'intention (yi) la volonté et non la force physique. Là où l'intention, la volonté arrivent, le « chi » arrive. Les mouvements sont souples et sans violence. La pratique du taïchi demande une relaxation totale du corps et de s'abstenir du moindre effort inutile et maladroit. Lao-Tseu parlait du « non-agir ». Cette notion de « non-agir », qui n'est pas le rien faire, elle est difficile à manier pour un non-initié.
Le « non-agir » a plus d'une facette, une de ses facettes est ce qui vient d'être expliqué dans l'abstention de tout effort inutile. Lao-Tseu a dit : « Celui qui a réalisé, agit dans le non-agir, détaché des fruits de ses actes, conscient de l'Unité du Tout. » (Tao-Te-King, extrait de 1.2) Il a dit encore : « On sait que la dilatation précède la contraction, la force, l'affaiblissement, la splendeur, la décadence et la richesse, le dépouillement. Cette évidence, à la fois cachée et éclatante, n'est pas évidente pour tout le monde. Ce qui est mou peut triompher de ce qui est dur ; ce qui est faible, de ce qui est fort. » (Tao-Te-King, extrait de 1.36)
7/ Relier le haut et le bas. Lorsqu'une partie du corps se meut, toutes les autres parties bougent. Si une partie s'arrête, les autres font de même. Le corps est un tout dont les éléments sont en harmonie. Les pieds sont les racines, l'énergie dont le contrôle réside dans les reins, passe par les jambes et s'épanouit dans les mains et les doigts. Dans les mouvements, tous les membres doivent être reliés les uns aux autres, et se mouvoir simultanément. Les bras et les jambes alternent et correspondent. La main levée s'abaisse pendant que l'autre s'élève. Lao-Tseu a dit : « La Voie du Tout peut être comparée à un arc que l'on tend. Le haut est tiré vers le bas. Le bas est tiré vers le haut. Si la corde est trop longue, on la raccourcit, si elle est trop courte, on la rallonge. » (Tao-Te-King, extrait de 2.77)
8/ Unir l’intérieur et l’extérieur. Chaque mouvement doit être réalisé avec une attention toute particulière. L'esprit joue un rôle essentiel dans l'exercice du taïchi, il est le commandant. Si l'esprit est parfaitement concentré, les gestes du corps s'effectuent avec grâce et facilité et la posture ne dépassera pas le cadre du vide et du plein. L'intention guide et anime le corps tout entier. Quand l'esprit conduit le mouvement, c'est être entièrement présent. Lao-Tseu a dit : « Celui qui se consacre à l'Unité, la voit diminuer, jusqu'à connaître le non-agir, alors la maîtrise vient et il n'est rien qu'il ne puisse accomplir. » (Tao-Te-King, extrait de 2.48)
9/ Lier les mouvements sans interruption. Les mouvements doivent être enchaînés sans rupture. Le geste commence et se poursuit du début à la fin de l'enchaînement, sans interruption. Les mouvements des bras sont généralement de forme spirale, commençant ou s'achevant en cercle, demi-cercle ou courbe, qui rappelle le symbole du yin et yang. Accomplir les mouvements comme on tire un fil de soie. Ils s'exprimeront sans rupture, sans discontinuité. Le corps se meut comme une rivière, sans cesse parcourue par le flot. Lao-Tseu a dit : « Rien n'est plus fluide et plus inconsistant que l'eau et pourtant, l'eau attaque et emporte ce qui est dur et puissant. Dans la lutte éternelle entre l'eau et le roc, c'est toujours l'eau qui gagne. Rien ne lui résiste et rien ne peut la vaincre. Car la souplesse s'impose à la dureté. » (Tao-Te-King, extrait de 2.78)
10/ Rechercher le calme au sein du mouvement. Demeurer paisible dans le mouvement. Le cœur reste calme et vigilant, recueilli et concentré, rassemblé et éveillé comme un chat guettant une souris. Le corps demeure tranquille avec sérénité et confiance. Le souffle intérieur ou « chi » circule et s'exprime sans effort dans le mouvement en spirale, stable et continu. Lao-Tseu a dit : « Le mouvement triomphe du froid et le repos de l'ardeur. Le vrai bonheur est dans le calme et la sérénité. La création repose sur l'harmonie du Tout. » (Tao-Te-King, extrait de 2.45)
On voit que la posture pour la pratique du taïchi doit être détendue, souple, permettre la circulation de l’énergie. Il en va de même pour la posture en méditation assise. Il faut avoir une posture confortable, détendue, mais pas avachie, que l’on peut garder longtemps sans douleur et sans effort. Quand on est assez souple pour se mettre en lotus ou demi-lotus, la position ainsi obtenue est celle qui est recommandée, dans la pratique du taïchi, pour le dos.
On recherche l’harmonie du mouvement, l’harmonie du corps… On peut ainsi rester connecté à l’harmonie du Tout, malgré une activité physique ou devrais-je dire grâce à cette activité. L’un n’empêche pas l’autre. C’est ce qui me semble important à retenir. Les deux pratiques ne se gênent pas, elles s’enrichissent mutuellement.
Garder le contrôle du mental, être entièrement présent, attentif… En pratiquant le service (Lao-Tseu disait le "non-agir"), on sait comment maîtriser le mental et le garder concentré à ce que l'on fait. À l’inverse, quand on est attentif au mouvement du taïchi, on se retrouve automatiquement plongé dans le Saint-Nom (ou "vertu-du-Tao"), c'est-à-dire qu'un « sourire-intérieur » s'ouvre dans la poitrine.
Encore une fois, l’un va avec l’autre en parfaite harmonie. Il y a dans le taïchi une posture intérieure, un état d’esprit qui s’apparente à celui qui favorise la pratique d'une spiritualité authentique, je parle de simplicité, d’humilité, de détachement et de constance. Bruce Lee en parlait ainsi : « Le mental est le plus grand obstacle à la réalisation de n'importe quelle action physique. Il est vraiment difficile de percevoir simplement. Nos esprits sont très complexes et s'il est simple d'apprendre à quelqu'un à devenir habile, il est difficile de lui apprendre un état d'esprit. » (Tao du Jeet Kune Do, éditions Budostore)
Qui n’a pas été étonné d’entendre son professeur de taïchi lui dire que le geste est simple, qu’on a toujours tendance à vouloir en faire trop, qu’il faut s’en tenir à la simplicité du geste, dans l’harmonie et la fluidité ? Qui n’a pas fait l’expérience, en travail à deux, qu’il faut se retenir, garder la maîtrise de son mental pour ne pas agir, vouloir, faire, quand il s’agit de laisser faire, de suivre les mouvements de l’autre ? Qui n’a pas entendu qu’il faut des années de pratique assidue avant de commencer à maîtriser un peu les choses ? La constance est une qualité essentielle dans les deux pratiques.
Qui n’a pas cru maîtriser un mouvement ou une forme pour s’apercevoir à force de répétition, qu’il a encore beaucoup à apprendre ? Qui n’a pas remarqué au fil des ans, l’harmonie, la fluidité qui se manifestent dans la forme lente, une fois les mouvements appris et menés avec calme, sérénité, attention et intention. Partir en méditation avec la bonne intention, être attentif dans le service sont des postures élémentaires pour notre pratique.
Quand on pratique le taïchi avec un camarade, il va de soi qu’il ne faut pas lui nuire, ni être violent, la bienveillance vis-à-vis des autres est importante et rejoint les premières recommandations des angas de La Voie (quatrième et dernier pilier de la pratique). Il n’y a pas de niveaux en taïchi, comme les différentes ceintures en judo par exemple. Il y a seulement ceux qui connaissent la forme et ceux qui sont en train de l’apprendre. Après, il s’agit d’approfondir. Sur La Voie non plus, il n’y a pas de niveaux, pas de but, d’objectif à atteindre. Le chemin est le but. J’aimerais aussi dire la même chose du taïchi, le but est de le pratiquer et avec le temps, on approfondit sa pratique pour le taïchi et pour La Voie.
Il est intéressant de noter que ce n’est qu’au début du 20è siècle que les grades ont été introduits dans le taïchi (duan). Bien évidemment, le taïchi s’apprend auprès d’un maître, comme La Voie, à qui ont obéit, sachant qu’il a une parfaite maîtrise de son art, cela demande de l’humilité. On apprend à ne pas se vexer à ne pas se justifier sans cesse à chaque remarque. Sur La Voie, il est important d’accepter l’enseignement du maître, dont on reconnaît également la maîtrise et on apprend aussi à ne pas se vexer, à accepter les conseils et à les appliquer.
Les bienfaits du taïchi
pour la pratique de la Voie
Après une séance de taichi, on est dans une bonne posture intérieure pour aller méditer sur son zafu, ce n’est pas un sport qui nous sort de la technique du Saint-Nom, bien au contraire, elle nous y plonge au fur et à mesure qu’on la laisse agir sur nous, sans y faire obstacle.
Il est dit, dans les angas, qu’il faut prendre soin de son corps, car il est le temple de Dieu et c’est par et grâce à lui qu’on peut pratiquer, être conscient du Saint-Nom et accomplir notre destinée humaine. Une activité physique n’est pas négligeable pour le bon fonctionnement de ce corps et quoi de mieux qu’une activité qui nous permet d’être dans l’harmonie du Saint-Nom, d’être dans l’état d’esprit requis pour la pratique, selon les angas ? Le lien est évident entre le taïchi et l'Observance de La Voie.
Signification du terme taï-chi-chuan
à la lumière de La Voie
Enfin, pour terminer, j’ai fait une petite recherche étymologique concernant les idéogrammes chinois de ce mot et je suis tombée sur les acceptions suivantes :
Tai : terme de respect pour les personnes de génération antérieure élevées en dignité. (Ricci 4660)
Ji : le plus haut degré de perfection. (Ricci 392)
Quan : boxe
Lao-Tseu est appelé en chinois « Tàishàng lǎojūn », le Seigneur suprême Lao. On pourrait donc traduire Taï-chi-chuan par « La boxe du Seigneur suprême ou maître parfait. »
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